jeudi 23 avril 2015

Une image vaut 1000 mots


Cher Paul,

Hier soir, nous avons parlé d'images au sens large, discussion que j'ai vite limitée, restreinte à ma propre expérience, comme d'habitude, parce que je ne sais pas faire autrement... 

Ce matin, j'ai entendu une info à la radio qui m'a fait penser à un aspect que nous n'avons pas abordé hier. Je me demande si des images familières n'influencent pas l'arrivée de certaines informations jusqu'à nous. Prenons le cas du joueur de basket suisse du nom de Thabo Sefolosha.  En mettant un nom sur un visage, celui d'un gars de chez nous, qui joue en NBA, à Atlanta, le basket prend du relief, Atlanta une place sur la carte des USA. Parce que sinon, du basket, on s'en tape un peu et savoir où Atlanta se trouve ne nous rend pas plus malins.  L'info racontait que les Atlanta Hawks, en vente depuis septembre 2014, allaient être rachetés et que cette transaction allait peut-être mettre fin à des histoires de racisme que le club traine depuis 2012. Du coup, l'image de Thabo Sefolosha devient aussi associée au concept tellement abstrait qu'est le racisme.
En quelques mots : Le 25 aout 2012, un dirigeant a envoyé un email à l'équipe dirigeante proposant un plan d'action pour augmenter le nombre de spectateurs. Jusque-là rien d'anormal sauf que la plupart des consignes données expliquent comment "attirer plus de blancs et baisser fortement l'influence noire qui fait fuir les blancs", davantage de danseuses blanches, moins de musique hip hop, ou encore de ne pas trop montrer d’afro-américains avec la caméra … Les blancs achètent plus d’abonnements à l’année et dépensent plus au match. Atlanta est une ville majoritairement afro-américaine (54%) et 70% des spectateurs qui assistent aux matchs sont afro-américains. Il y a encore eu un appel téléphonique d'un autre type qui considérait un joueur " d'être juste un peu africain. pas d'une mauvaise façon, mais il ressemble à un type qui aurait un magasin agréable et vous vendrait de la contrefaçon à l’arrière." (Je ne connais pas beaucoup d'Africains, mais pour moi c'est une attitude typique de marchand chinois dans un marché...) L'article de Yahoo! sport sur lequel je me base est ici .

Avec ce simple portrait de Sefolosha,  ma journée est bousillée, si je puis dire. Je me moque du basket. Pire, pour moi tous les joueurs de basket devraient être Noirs, enfin, je veux dire Afro-américains, il faut que j'apprenne à devenir politiquement correcte. Et j'ai retiré Atlanta de ma liste d'endroits à visiter, c'est tout dire. Mais pas à cause de cette histoire.
Pourtant, cette histoire m'a aimantée, à cause d'une bête image parce que je crois que c'est exactement pour cela que je m'apprête à traverser l'Atlantique : essayer de comprendre l'incompréhensible, l'inadmissible, cette idéologie qui classe l’être humain en différentes races biologiques comportant des caractéristiques mentales génétiques et qui dresse une hiérarchie des "races biologiques". Je vais remonter le Mississippi, de la Louisiane à Chicago. Je vais certainement visiter des plantations de l'époque coloniale, je vais m'arrêter à Memphis, là où Martin Luther King a été assassiné. J'ai  regardé Mississippi Burning d'Alan Parker pour la énième fois, j'ai toujours honte. J'aimerais comprendre. Pas pour le passé, d'autant plus que celui-ci ne m'appartient pas. Mais pour notre présent et surtout notre futur. Il y a des milliers d'Africains qui meurent à nos portes et, espérons, davantage qui pourront entrer. Allons-nous continuer à nous sentir supérieurs ? De déclarer comme un reproche que ces gens-là ne sont pas comme nous ? Ou pourrons-nous un jour admettre que nous aurions aussi à apprendre d'eux.
Je rêve, je le sais, je n'aurai pas de réponse. Ferguson, dans la banlieue de Saint Louis (Missouri) sera aussi sur mon chemin...

Tu vois, l'image de Sefolosha est loin, je l'ai remplacée par d'autres images.
Strange Fruit est la première chanson importante du Mouvement américain des droits d'homme. Elle est devenue le symbole de la lutte des Noirs pour l’égalité. Les fruits étranges dont parle la chanson sont les corps, pendus aux arbres, des noirs lynchés dans les années 1930, dans le Sud des États-Unis. Ce texte de protestation contre la vague de lynchages a d’abord été un poème. Son auteur, un enseignant juif communiste du Bronx, Abel Meeropol, l’a publié en 1937 sous son pseudonyme : Lewis Allan, et l’a bientôt mis en musique. D’abord interprété par son épouse, Strange Fruit a été popularisé par la chanteuse noire américaine, Billie Holiday, qui l’a enregistré en 1939 et avec laquelle il est souvent identifié. Dans son autobiographie, la chanteuse prétend même indûment en avoir écrit les paroles.

En 1999, Time Magazine a élu Strange Fruit comme La chanson du siècle et Q., une publication musicale britannique, l'a qualifiée de l’une des dix chansons qui changèrent réellement le monde. Moi, je l'ai découverte récemment, à l'occasion de l'anniversaire de Bessie Smith, née le 7 avril 1915, il y a juste 100 ans.
Les arbres dans le Sud portent d’étranges fruits
Sang sur leurs feuilles, sang à leurs racines
Corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud
Étranges fruits pendus aux branches des peupliers
Spectacle pastoral des gibets dans le Sud
Yeux révulsés, bouche distordue
Parfum de magnolias, frais et sucré
Puis l’odeur, soudain, de chair qui se consume
Voici offerts des fruits que les corbeaux picorent
Que la pluie arrache, que le vent pourlèche
Que le soleil pourrit, que l'arbre fait tomber
Voici une récolte amère et bien étrange.
Traduction de Francine Kaufmann (Département de traduction, d’interprétation
et de Sciences de la traduction de l’université Bar-Ilan, en Israël) trouvée sur
http://le-mot-juste-en-anglais.typepad.com/le_mot_juste_en_anglais/2015/04/le-7-avril-le-anniversaire-de-la-chanteuse-billy-holiday.html

Avec toute mon amitié.

D.

Pour une définition du racisme, c'est ici.

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