Cher Papa,
Le lendemain de mon mot à maman, j'ai reçu un signe de ta part. Tu ne voulais pas que je t'oublie? Comment le pourrais-je, à La Nouvelle Orléans ?
Je n'ai pas encore retrouvé les cinq 78 tours que j'ai rangés quelque part et que Joël réclame pour sa collection. Tout ce qui n'est pas perdu se retrouve, n'est-ce pas ? Ces disques sont gravés dans ma mémoire, je revois l'image de celui qui avait une couverture cartonnée (je crois bien que c'était un 33 tours). Les autres devaient se contenter d'une pochette de papier beige, le trou central permettant de lire le contenu sur l'étiquette du disque. Il y en avait un de Charlie Chaplin, Limelight, et les autres étaient tous du même musicien : Sydney Bechet. Comme j'ai aimé ces disques, je les ai tellement écoutés. Est-ce que je préférais Les oignons ou Dans les rues d'Antibes ? J'ai eu mes périodes. Je sais que je frissonnais quand Sydney et ses potes s'arrêtaient de jouer... puis reprenaient (Les oignons), ils le faisaient plusieurs fois, quel suspens ! J'aimais aussi la quasi cacophonie par moments de l'autre, tout le bruit de tous les instruments qui se mélangeaient. Bien mieux que Petite fleur que je trouvais franchement trop lent. Je craignais aussi que maman ait l'idée d'entamer une danse chaloupée avec moi.
Tu te rends compte, j'ai trouvé cet enregistrement des Oignons fait à La Chaux-de-Fonds, de1952 dis donc!
Sur Sydney Bechet, tu étais quasi intarrissable. Tu l'avais vu, Sydney, à plusieurs reprises, à Paris et je crois même à La Chaux-de-Fonds, une fois, quand il jouait avec Claude Luther. J'aurais dû mieux écouter ce que tu me racontais, je saurais maintenant s'il jouait du saxophone ou de la clarinette. Pourtant tu m'avais expliqué... Mais jamais, papa, jamais à cette époque je pensais venir à La Nouvelle Orléans. Tiens, tu m'avais aussi expliqué la différence entre le jazz de La Nouvelle Orléans et le Dixieland. Je n'ai rien retenu...
Tu imagines bien ma surprise lorsque dans notre hôtel à La Nouvelle Orléans, dont toutes les chambres portent le nom d'un musicien local, c'est sur la 109-Sydney Bechet que nous sommes tombées. J'aurais aussi accepté Fats Domino ou Louis Armstrong, mais il y a déjà l'aéroport de la ville qui porte son nom, c'est bien assez. J'ai compris le clin d’œil, papa.
La déco du lobby |
Mais oui papa, je pense à toi, souvent. Mais oui papa, je retrouverai ces disques pour Joël. Inutile de secouer la tête.
D.
Pour en savoir plus sur Sydney Bechet c'est ici.
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