Chère Sylvie,
Tu as suggéré que mes observations pourraient me servir à d'autres fins qu'à nourrir ce blog, tu as carrément dit pour un prochain roman. Ça, je ne sais pas, pas encore. Je suis partagée entre consternation et fascination. Comme si j'étais retournée à une époque que je n'ai même pas connue alors que je vis à la mienne en observant (et parfois critiquant) toutes ses contradictions.
Je me trouve donc dans ce qui s'appelle par ici Pennsylvania Dutch Country. Dutch étant une déformation du mot Deutsch et non pas Dutch = hollandais. On me demande pourquoi j'ai fait halte par ici. Ce serait tellement facile d'utiliser ce que j'ai tant entendu depuis le début de mon voyage, que c'est Jésus qui m'a guidée. Soyons pragmatiques, il me fallait un arrêt tranquille entre Chicago et NYC. Je ne suis pas à mi-chemin, mais c'est paisible et si différent... de tout. Et dans le fond, pas tant que cela... Cette étape s'intègre bien à mon voyage. à ma grande surprise.
Les bluesmen étaient souvent des pasteurs itinérants, comme le Révérend Gary Davis. Souvent, encore de nos jours, le seul bouquin qu'ils aient jamais lu est la Bible.
Les Amish sont des Anabaptistes arrivés sur sol américain dès 1683. On retrace leurs origines dans la région de Zürich 150 ans plus tôt. Influencés par leur leader Menno Simons, ils sont devenus Mennonites, mais un autre leader, Jakob Amman, un fermier alsacien, trouvait qu'ils s'éloignaient trop des préceptes de la Bible. Scission, les disciples d'Amman sont devenus Amish. Quel que soit leur camp, ils ont soufferts des persécutions à leur encontre, et Amish et Mennonites ont été nombreux à venir en Pennsylvanie au 18e siècle, de Suisse, d'Allemagne et d'Alsace. Mon choix, s'il paraissait dû au hasard, suit une certaine logique. Ce serait mentir que de dire qu'il a été planifié dès le départ, mais je constate que les nouvelles qui m'arrivent d'Europe, toutes ces embarcations qui envahissent les îles du Sud, tous ces migrants, réfugiés, immigrants - quel que soit le nom qu'on veut bien leur coller - confèrent à mon étape en Pennsylvanie une touche indispensable d'actualité et de réflexion*.
Je vis dans une famille mennonite très ouverte à la discussion et Wilma répond volontiers à mes nombreuses questions. Elle m'a aussi conseillé de rendre visite au Mennonite Information Center près de Lancaster dont le comté compte plus de 30 000 Amish.
Quand on traverse la région en voiture, on croise des petites carrioles noires, des buggies, conduits par des hommes barbus (mais sans moustache) portant une coupe bol et un chapeau de paille ou noir. Les femmes peuvent aussi conduire les buggies. Si les hommes sont habillés sobrement, ils pourraient presque passer inaperçus. Par contre, pas les femmes, pas en 2015. Elles sont vêtues d'un robe sobre, unie (j'ai lu "de couleur terne", mais j'ai vu des verts et des jaunes drôlement guillerets). Le tablier blanc est porté uniquement par les jeunes filles non mariées. Leurs cheveux sont maintenus en chignon dans un bonnet en organdi. Les familles sont nombreuses, 8 enfants en moyenne.
La première fois que j'ai pris connaissance de cette communauté, c'est dans le film de Peter Weir, Witness. Dans ce lancement, on entend parler d'Ordnung, le code de bonne conduite amish, suivre les préceptes de la Bible, vivre pour la communauté. Ils ont refusé tout changement depuis leur arrivée, se veulent séparés du monde, alors qu'ils en sont entourés. Un des principes pour accepter ou non une innovation est que celle-ci ne doit pas faciliter la vie. La tradition est bien ancrée, pas de voiture, pas de bicyclette (à cause des pédales qui facilitent la vie), mais la trottinette est acceptée. Pas d'électricité (alors que les fermes sont situées sous des enchevêtrements de fils électriques), mais des générateurs au propane. Pas de tracteurs, sauf pour les travaux très lourds, dans ce cas sans pneus en caoutchouc.
Un tricheur ? |
La documentation que j'ai récoltée nous dépeint une société idyllique. Attention, m'a avertie Wilma, tout n'est pas rose ! Zéro divorce chez les Amish, pourtant elle connaît des femmes qui souffrent de la rigidité de leur famille. Elle pense aussi que se retirer du système scolaire publique n'était pas une bonne idée, les Amish ne souhaitant pas profiter des services publics en général, même s'ils paient des impôts. Du coup, pas d'enseignant/e sinon des jeunes filles qui ont suivi les 8 années scolaires obligatoires pour enseigner le strict minimum, lire, écrire et compter, ce qu'elles viennent d'apprendre en somme. Les garçons, eux, apprennent en plus la menuiserie et les travaux de la ferme. Toutefois, il faut signaler que les fermiers de la région de Lancaster arrivent au 1er rang de la Pennsylvanie en matière de rendement, et au 7e rang américain. Alors, esprit communautaire, méthodes ancestrales et discipline contre matériel ultra-moderne ?
Je pourrais continuer ainsi, Sylvie, te dire que les enfants ne sont pas baptisés avant l'âge adulte. Ils doivent choisir eux-mêmes. Ils peuvent même faire l'expérience du monde moderne, conduire, s'habiller comme les autres jeunes, même boire et fumer. Ensuite, ils peuvent choisir en connaissance de cause. Seuls 2% décident de quitter la communauté. Comme le disait Aden, ce choix n'en est pas vraiment un, c'est difficile de vivre seul/e quand on est adolescent.
Je vais m'arrêter ici, je vais mettre ma jupe et retourner dans le passé...
Avec toute mon amitié.
D.
* Au moment où je revois mes textes, quelques mois après mon retour, les médias se sont lassés des barques fragiles en Méditerranée pour se consacrer aux frontières poreuses à l'Est de l'Europe, je repense à William Penn qui a accueilli des allemands, des irlandais et des gallois. Sa tolérance religieuse
a encouragé l'économie, nous dit-on. Je me demande si notre tolérance, notre humanité et notre compassion ne pourraient pas, pour une fois, nous permettre d'accueillir d'autres pour les intégrer dans nos sociétés et les enrichir. Il y a urgence, ils et elles sont à nos portes!
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