Chère Jackie,
On m'a regardée en soupirant, on m'a dit qu'on n'allait rien me dire, que je verrais bien. On m'a dit l'avoir essayé à 19 ans et ne jamais avoir eu envie de recommencer. Mon Routard précisait que c'était le moyen de transport du pauvre, "... se pointer dans une station de bus le soir est la meilleure façon d'être confronté à l'Amérique profonde, avec tous ses laissés-pour-compte du rêve américain." Déconseillé la nuit. L'ennui est que souvent on y arrive ou on en repart la nuit, ou quand il fait nuit. Dans un premier temps, j'ai laissé tomber cette option, trop peur, pas envie d'avoir peur.
Un hall plutôt accueillant |
Comme j'ai pris progressivement confiance, j'ai eu envie de voyager en bus Greyhound. Traverser l'Indiana et l'Ohio seule au volant d'une voiture d'un trait ne m'inspirait pas, le train était compliqué de Chicago en Pennsylvanie, ce serait donc le Greyhound, vivons dangereusement. Départ 17h05 de Chicago (en pleine lumière du jour), arrivée 10h20 à Harrisburg, ville baignée de soleil, c'est bien connu (!!!) 2 changements, le premier à 1h du mat à Cleveland, Ohio, et le second à 4h à Pittsburgh, déjà en Pennsylvanie.
Est-ce que la porte 13 me portera bonheur ? |
Le jour du départ, on m'a demandé comment je me sentais. Bien. On m'a regardée organiser mes sacs en vue d'une approche stratégique en métro de la gare des bus. On m'a proposé de m'y conduire. Non, non, je prends le métro jusqu'à Clinton et c'est un block plus loin. Je le sentais bien, je me sentais prête pour l'aventure. J'ai un peu douté de mon choix à Clinton justement, quand j'ai demandé mon chemin à un type en uniforme. Il m'a même indiqué un raccourci, et a ajouté "Be careful !" Faire attention à quoi ? De quoi parle-t-on ?
Une salle d'attente rassurante |
Je m'attendais à une gare surpeuplée de voyageurs transportant des bagages nombreux et volumineux, voire des animaux. La Chine a tout de même laissé des traces... En fait, la gare était plutôt petite, presque coquette; les voyageurs ressemblaient à ... des voyageurs. Pas d'allure louche ou de comportement suspect, à part les fumeurs devant la porte bien sûr.
J'ai pris possession de mon billet acheté sur Internet puis me suis installée sur l'un des nombreux sièges vides, j'avais près de 6 heures d'attente. Un vigile peu souriant veillait sur nous. J'ai gardé des bagages, on a surveillé les miens. Solidaires, tous unis dans l'attente.
D'ailleurs, c'est à ce moment précis que tu es apparue dans ma vie, Jackie. Tu as presque lancé ton barda à mes côtés, il y a des besoins naturels qui ne peuvent attendre, c'est ce que tu m'as expliqué plus tard. Après ta visite aux toilettes, tu m'as raconté Milwaukee dans le Wisconsin d'où tu viens, ta vie, ta famille, tout. Je sais même que tu aurais appelé ta fille aînée Danielle si tu n'étais pas tombée sur une boîte de mouchoirs qui portait le nom de son fabricant, Kimberly Clark. Ta fille s'appelle Kimberly. Ça m'a fait tellement rire, je ne t'ai pas dit pourquoi, ça aurait été trop long et compliqué, pour pas grand chose. Tu pensais que je devais m'appeler Gertrude, toutes les filles suisses ont des noms comme ça, non ?
Il y a des rencontres qui doivent avoir lieu, la nôtre était de celle-ci. Ce qui donne dans ton langage coloré et chaloupé : "Jésus m'a poussé vers toi. J'aurais pu aller ailleurs, mais c'est vers toi que je suis venue, sans hésiter." Encore lui.
Avant de partir, tu m'a fait prononcer ton nom des tas de fois, Jacqueline, comme Kennedy; tu trouvais que mon accent lui donnait du prestige, de la classe. Nous nous sommes prises en photo, nous avons ri, beaucoup échangé sur les choses de la vie, puis tu es partie une demi-heure avant moi en priant le Seigneur que vous n'ayez pas de pneu crevé. Ça arrive ? Jamais quand tu prends le bus, le Seigneur t'accompagne. J'aurais dû aller à Milwaukee.
Les voyageurs pour Cleveland et New York étaient attendus, pas le temps d'avoir des regrets. J'avais fait mettre une étiquette à mon sac; dans la jungle des chiffres sur mon billet, tu m'as montré que j'avais un numéro d'embarquement plutôt bien, j'étais prête à attaquer ma nuit dans le bus.
J'espère que tu auras pu prendre ton bain agrémenté d'Epsom salt. Pas d'amitié entre nous, mais de la complicité. Et j'ai aimé ce gros hug que tu m'as offert en me quittant.
D.
PS. La suite du voyage se trouve ici.
Site de Greyhound
Alors tu aimes les hugs maintenant et tu n'as plus peur des stations de bus! quel chemin parcouru. Love and hugs Elean.
RépondreSupprimerPS elles ont l'air sevères tes chauffeuses de bus et moi je trouvais grincheux certains de la Tchaux:)
Je n'ai pas le choix. Quand je les vois tendre les bras, je sais ce qui va men tomber dessus...
RépondreSupprimerHugs, anonyme Elean....